Katherine White« La symbolique des sentiments »

Nous avons tort de ne plus pleurer publiquement nos morts et de nous priver ainsi d’une relation nécessaire au défunt : le sentiment.

Marcel Mauss, ethnologue connu pour son essai sur le don (et pour n’avoir jamais quitté son bureau, ce qui faisait sourire ses collègues), évoque, dans un de ses nombreux articles, la symbolique des sentiments.

Dans le rituel funéraire des peuplades d’Australie (Mauss écrit cela en 1921), on observe des larmes, des cris, en plus des discours et des chants. Et, montre-t-il, ces cris, ces hurlements, ces pleurs font partie intégrante des rites, sont comme une forme de prière.  (On pensera, bien sûr, aux « pleureuses » qui, de l’Egypte antique à nos campagnes, louaient leurs larmes.)

Ces expressions collectives, simultanées, des sentiments de l’individu et du groupe sont, pour l’ethnographe, plus que de simples manifestations émotionnelles, ce sont des signes, des expressions comprises, bref, c’est un langage. Les pleurs sont scandés et leur rythme conduit à la musique, les cris sont partagés et leur unité constitue un langage élaboré, un fait social. Dans ce sens, Mauss évoquera, dans son essai sur la prière, les religions où prier seul est totalement interdit – c’est le cas, par exemple, des Brahmanes d’ Inde. La représentation sociale de la douleur serait aussi nécessaire que la douleur elle-même.

« On fait donc plus, conclut-il,  que de manifester ses sentiments, on les manifeste aux autres, puisqu’il faut les leur manifester. On se les manifeste à soi en les exprimant aux autres et pour le compte des autres. C’est essentiellement une symbolique. »

Jean-Louis Chapellier

La mort

2010

 Photographie : © Katherine White