La main de la vieille dame
Sur la grand’place de la petite ville où je viens faire quelques courses, je cherche à me garer… A quelques mètres devant moi, une vieille dame traverse péniblement, je freine, j’arrête, je la regarde sans trop la voir jusqu’à ce qu’elle trébuche et qu’elle tombe…
Je descends et me précipite auprès d’elle… J’ai vu son visage frapper le pare-choc d’une voiture, je l’interroge, inquiet…
Très vite deux ou trois passants nous rejoignent, la prennent sous les bras pour la relever… J’essaie de dire « pas trop vite, laissez la reprendre ses esprits », personne n’écoute vraiment, chacun se veut utile, efficace… La scène dure quelques minutes à peine, la dame me regarde, son regard m’émeut et, lentement, doucement, elle me tend la main…
Elle me tend la main, que je prends dans la mienne, une belle et longue main de belle et grande femme, une main douce, chaude, rassurante… une main de mère, d’épouse, d’amante… Je lui donne la main et elle se lève, péniblement, esquisse un sourire gêné, rassure la petite foule autour d’elle et s’en va…
Pourquoi m’a-t-elle tendu la main ? Pourquoi à moi ? J’étais là le premier, je suis un homme, j’ai l’âge d’être son fils, j’étais calme, rassurant… Qui étais-je ?
J’étais, tout simplement, touché. Je me sentais inquiet, et malheureux pour elle ; s’était-elle fait mal ?
Je me souviens d’une question que, toute petite, me posait ma fille aînée alors que je venais d’indiquer le chemin à un touriste égaré : « Mais comment pouvait-il savoir que tu connais le chemin ? » .
Je ne sais pas pourquoi cette dame m’a tendu la main, à moi et pas aux autres, sans doute cela n’a-t-il aucune importance pour elle, mais je sais que moi, en la quittant, j’ai souri, comme lorsqu’on reçoit un cadeau d’un enfant ou, tout simplement, lorsqu’un enfant glisse dans la vôtre sa petite main douce, comme cela, sans rien dire, juste pour s’assurer que vous êtes là, qu’il y a, là, près de lui, quelqu’un, quelqu’un qui soit là, disponible, sûr, calme, présent… Présent pour l’autre… Présent à l’autre… J’aime ce concept que nous a offert Marcel Nuss.
Jean-Louis Chapellier, Présent à l’autre, colloque de Vielsalm, 7 novembre 2011
Photographie : © Hélène Despléchin