« Le cimetière »
« Nous habitions près du cimetière. J’empruntais à vélo, pour aller à l’école, le chemin qui le borde et surplombe une prairie cernée d’imposants peupliers. A pied, je préférais traverser cet espace étrange, tout aussi inquiétant qu’accueillant, tout aussi inconnu que familier. J’en connaissais les lumières et les ombres.
Je souriais en jetant un œil au monument aux morts, dont le coq m’a toujours paru inutilement hautain. Je souriais de la prétention des tombeaux des familles riches. J’étais ému par la modestie des anges sur la tombe des enfants, par les fleurs qui se fanent, par les humbles décors du coin des indigents ; parfois je prenais le temps d’imaginer ces vies qu’une simple soustraction permettait d’évaluer. Certaines tombes portent mon nom de famille, et l’une abrite le corps de l’oncle assassiné, frère aîné de ma mère, dont l’histoire a accompagné mon enfance.
De la fenêtre de ma chambre, je pouvais regarder passer les enterrements. Le ridicule du curé en soutane et des enfants de chœur, le ridicule des musiciens de l’harmonie municipale et leur marche lancinante, tout cela me semblait si vain, si éloigné de l’inquiétude et de la peur qu’à mes yeux de gamin la mort inspirait. »
Jean-Louis Chapellier
La mort
2010
Photographie : © Ella Powel